Le Pouvoir Caché des Mascottes

Quelles stratégies se cachent derrière le sourire des mascottes ?

Humaniser les marques avec des mascottes « vivantes »

Souvent bipèdes ou du moins se tenant debout, dotées d’une personnalité propre, et donc in fine humanoïdes, les mascottes permettent de projeter des sentiments humains sur des êtres imaginaires (même Kan-Chan, celle en forme de poire à lavement, au Japon). Ces porte-paroles bienveillants et sympathiques, parce qu’ils nous « ressemblent », permettent ainsi de mieux mémoriser les marques. Dans le cas de la poire de lavement rectal, la mignonnerie rose permet de rendre le produit plus ludique et donc moins contraignant à l’utilisation, surtout pour les enfants. La mascotte transforme l’objet médical pas glamour en jeu tout rigolo. Ou du moins, elle essaye.

Une étude menée par Opinion Way en 2013 précise qu’une mascotte rehausse le taux d’engagement des consommateurs pour la marque de près de 43 %, avec un plus fort taux pour le secteur des services, qui crée ainsi une image rassurante et matérialisée.

Jean-Claude Boulay, sémiologue, précise que « les bénéfices directs de l’utilisation d’une mascotte sont la visibilité, la simplicité, l’immédiateté et la mémorisation. Une mascotte permet de véhiculer de l’affect à travers une personnification et d’induire de la confiance en créant du lien et de la complicité. La mascotte constitue une sorte d’émanation, c’est un porte-parole, de la marque émettrice ». Créer des personnages mignons et à notre image pour mieux vendre, ça marche, et c’est probablement l’idée du siècle.

Mais peut-on utiliser une mascotte à tout prix, et surtout pour promouvoir n’importe quel produit ou service ? N’y a-t-il pas un vice caché à vouloir tout rendre mignon, même des produits qui ne font pas du bien à ceux qui les utilisent ? Concrètement, comment une idée aussi simple peut-elle fonctionner à ce point ? Pourquoi sommes-nous si attachés aux mascottes ?

Augmenter la reconnaissance de la marque, notamment auprès des enfants

D’abord, parce que nous voyons nos premières mascottes durant l’enfance, à un âge où tout est prétexte à l’attachement et à l’empathie. Du tigre au kangourou en passant par le lapin et le toucan, les céréales pour enfants ont presque toutes leur mascotte, qui joue alors un rôle d’idéogramme, d’idée dessinée, qui ne nécessite pas de savoir lire. Celle-ci véhicule un langage universel sympathique, qui dit « regarde comme je suis mignonne ou mignon » et attire l’enfant, comme le ferait un personnage de dessin animé.

Avant de savoir lire, et selon ses compétences linguistiques, un enfant ne fait pas de distinction entre le monde réel et un univers fictif ou imaginaire. Son monde est peuplé d’êtres réels ou de fausses croyances, et les personnages de fiction font partie de sa réalité. L’intégration d’un tigre sur un paquet de céréales renforce la présence d’un être amical voire même d’un « ami pour la vie » au même titre qu’un doudou ou qu’un autre enfant, et permet ainsi une meilleure visibilité et une reconnaissance immédiate auprès des enfants, en augmentant la confiance envers la marque. L’enfant grandit avec cette image, toujours présente, et la garde dans son cœur en grandissant. En terme de stratégie marketing, c’est d’une efficacité redoutable.

La mascotte vient alors ici remplacer le logo ou le signe écrit et permet pour cette cible une meilleure mémorisation, plus durable, surtout auprès d’enfants qui ne savent pas lire.

Les mascottes qui font scandale

Avec du recul, n’est-ce pas là une stratégie vraiment malsaine de vouloir transformer si tôt un enfant en consommateur indirect (puisque ce n’est pas lui qui achète), surtout lorsqu’il s’agit de promouvoir des produits mauvais pour sa santé ? On pense au héros Malabar, au bonhomme Pringles, à l’ours et à l’enfant Haribo… ou encore aux jeux des Kinder Surprise qui, même s’ils n’étaient pas des mascottes à proprement parler, provoquaient un flot de dopamine à la vue de l’œuf en chocolat. Pire, certaines marques créent des produits dérivés issus des dessins animés préférés des enfants, comme Peppa Pig ou Dora, qui sont de véritables bombes de sucre et jouent sur l’attachement affectif des enfants. Une étude anglaise a démontré que 51% des packaging avec des mascottes sympathiques ou des héros de dessins animés destinés aux enfants servent à promouvoir des produits saturés en sucre et en graisse, contre 3% seulement pour des produits sains (source : the Guardian).

En 2018 en Angleterre, les députés du comité de la santé et des soins médicaux ont appelé à bannir les mascottes, les dessins animés et les publicités de malbouffe à la télévision, pour lutter contre l’obésité infantile (source : Skynews) en qualifiant ces pratiques « irresponsables et répugnantes ». Le Mexique a quant à lui voté l’interdiction de vente des produits sucrés et gras aux mineurs, au même titre que l’alcool et les cigarettes, dans ce pays où 73% des habitants sont en surpoids (source : the Washington Post), tout en créant une signalétique noire spécifique sur les packagings de produits à haute teneur en sucre ou en graisse. « Ce qui était vrai pour le tabac peut l’être pour le sucre raffiné, qui est tout aussi mortel. » Et addictif.

Enfin, puisque l’on parle de mascottes qui font scandale, on vous invite à (re)découvrir notre article sur les packaging racistes, dans lequel on abordait la question de l’héritage de marques comme Uncle Ben’s, Aunt Jemima, ou encore Banania. On pense aussi aux mascottes de produits toxiques, comme celles des paquets de cigarettes, qui ont eu leur moment de gloire avant d’être interdites.

Les mascottes et leur impact dans nos cerveaux

Mais revenons à nos mascottes, pour adultes cette fois. Il est intéressant de souligner à quel point une mascotte joue sur les émotions des clients et clientes potentiels, et si cette stratégie fonctionne, ce n’est pas un hasard. Les mascottes jouent sur notre mémoire d’enfants. Là encore, l’idée n’est pas de faire l’apologie de cette stratégie, mais plutôt de comprendre les dessous de celle-ci, pour peut-être aussi mieux prendre de la distance si besoin, ou de permettre aux marques de s’interroger avant la création d’une mascotte.

Un peu comme des robots, des marionnettes, ou des doudous, elles permettent de raconter des histoires, en prolongeant le storytelling de la marque, à mi chemin entre émotions et retour en enfance. Les mascottes humanoïdes amplifient ce sentiment de confiance et d’empathie en tissant un lien émotionnel positif : l’effet kawaï, la mignonnerie des mascottes « peluches » et leur présence un peu partout dans l’espace public les rend attirantes et efficaces, et permet par exemple aux Japonais de retomber en enfance et d’échapper à la pression des normes sociales du monde des adultes. Ailleurs, les mascottes provoquent des sentiments agréables chez la personne qui les voit ; c’est ce que nous expliquent plus précisément les neurosciences.

Les mascottes comme antidépresseur ?

Dans notre cerveau se trouvent des neurones miroirs : en regardant l’autre on s’y voit comme dans un miroir et on « allume » nos propres neurones moteurs, même sans faire de mouvements. Ce réflexe augmente notre capacité naturelle à « ressentir de l’intérieur » les autres, et à se mettre à leur place, par empathie. Grâce à ces neurones miroir notre cerveau sécrète de l’endorphine en voyant une personne (ou une mascotte) qui semble heureuse : on lui sourit, ou on s’imagine sourire, par mimétisme. Charles Darwin explique que « même la simulation d’une émotion tend à la faire naître dans nos cerveaux », c’est à dire que nous sommes aussi capables, par imagerie mentale, de vivre des émotions (ou des mouvements) rien qu’en les imaginant. Les mascottes anthropomorphiques qui nous sourient permettent donc qu’on se sente mieux. L’enquêteur Ron Gutman a d’ailleurs déclaré qu’un sourire peut générer le même niveau de stimulation cérébrale que 2000 barres de chocolat« .

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